Jean-Philippe Ritz agit comme un flâneur qui s’approprie des morceaux de murs de l’espace urbain à des fins esthétiques.
Affiches commerciales, graffitis, notifications administratives malmenés par les passants, décolorés par le soleil, lavés par la pluie, subissent, sous l’œil du photographe, une manipulation inventant des images de l’image où interfèrent de nouvelles subjectivités.
Il réalise ainsi des montages poétiques à partir d’éléments hétéroclites.
Pour le spectateur, il s’agit de découvrir dans la superposition des épaisseurs, dans la beauté d’une forme, d’une couleur, d’une tâche d’un graffiti, d’une écriture, l’aspect sauvage et spontané de la vie urbaine, tout en invitant le spectateur à découvrir une œuvre qui interroge. »
« Au pays des mineurs" est notre histoire.
D'un côté c'est l'histoire de la famille de ma femme. Son grand-père paternel a fui la misère des Asturies dans les années 20. Mineur de profession, il a atterri dans un premier temps dans le Nord de la France puis, ayant appris que les mines du Forez offraient de meilleures conditions salariales, il s'est installé à Saint-Etienne (à La Ricamarie plus précisément), rejoignant là d'autres espagnols. Il y a fait connaissance d'un compatriote ayant une sœur qui deviendra la grand-mère paternelle de mon épouse. Le jeune couple partira quelques temps plus tard s'installer en Kabylie pour les mêmes raisons qu'ils lui avaient fait quitté le nord de la France. D'années en années, naîtront les enfants, dont un garçon qui quittera très tôt le système scolaire pour aller à la mine. En 1962 toute cette petite famille, dont celle qui deviendra mon épouse, comme tant d'autres regagneront la France. Peut-être que ce grand-père n'a pas travaillé dans ce puit de la mine de Saint-Etienne (Puit Curiot) qui sert aujourd'hui d'écomusée. Mais c'est tout comme.
D'un autre côté, le petit frère de mon père a lui aussi travaillé dans les mines du Bassin des Houillères de Lorraine. Pas comme mineur de fond mais en tant qu’électromécanicien. Cela ne l'empêchait nullement de descendre quotidiennement au fond pour réparer les machines. Au terme de sa vie, mon oncle, atteint de la maladie d'Alzheimer, ne parlait plus que de ses années passées dans les mines de Lorraine.
Il n'y a donc ni communauté de lieu, ni de temps, ni d'action, il y a simplement des trajectoires de vies qui se télescopent et en créent de nouveaux qui portent nos gènes. Là encore cette "réalité éphémère" est celle de nos grands-parents, de nos parents, de nous-même, de nos enfants et de nos petits-enfants. Nous sommes le produit de toutes ces vies et notamment de ces hommes dont la mine a été le fil rouge, ne serait-ce qu’un temps.
Finalement nous ne sommes que des témoins. Des témoins de passage pour un passage de témoin.
Une fin d'après-midi de passage à Granville (50), quelques photos de la piscine d'eau de mer de cette ville.
Pour information, cette série a été présentée à la mairie de Granville et pourrait faire l'objet d'une exposition dans cette ville. Il s'agit en fait d'une installation comprenant outre les photos, une reproduction des trois plots de départ 6,7 et 8 en terre cuite et patinées, un bruitage mer et nageur. Normalement devrait venir s'ajouter une lumière s'allumant et d'éteignant sur un cycle de 4 minutes et des fragrances d'iode et de varech, mêlant ainsi les 5 sens. Pour l'instant les deux derniers modules me posent des problèmes de réalisation technique.
"Sous les ponts de Paris coule la Seine" et sur sa berge, à hauteur du pont de l'A14 au sortir de la terrasse de Saint Germain en Laye (78), se trouve une maison abandonnée. Belle demeure des années 1930, son histoire a été tourmentée jusqu'à devenir la masure qu'elle est aujourd'hui, vouée à la démolition. A travers son univers hétéroclite aux couleurs bigarrées et aux lignes brisées, elle nous attire toujours plus loin dans notre imaginaire, fécond miroir de ce que nous sommes.
"La maison des italiens" fût au gré des années, un lieu de passage pour l'immigration italienne en France via Modane (73), sorte d'Ellis Island en Maurienne. Récupérée par la SNCF, elle servit de cantine aux cheminots ainsi que de service médical. Vendue elle tomba à l'abandon jusqu'en 2014 où un incendie acheva de la détruire. Au delà des murs calcinés, des étages écroulés et du toit ouvert, elle reste, à mon sens un lieu de mémoire et donc, un lieu de vie.
Qu’ai-je ressenti au moment de prendre cette photographie ?
Difficile de m’en rappeler précisément.
® Si le but initial a bien été que cette photo soit belle à l’œil, équilibrée dans ses proportions, ses couleurs etc… trois éléments structurant ont joué un rôle prépondérant :
® La recherche liminaire de beauté est également basée sur une démarche plus personnelle que l’on pourrait qualifier de « technique artistique » qui n’est en rien une technique de pure photographie mais bien une méthode artistique. En effet, elle est le résultat d’un « dialogue » entre ce que va être la future photographie et mon œil ou plus certainement mon cerveau. Les murs ont des oreilles, je peux donc leur parler, mais je me dois aussi d’être sensible à ce qu’ils veulent me dire. Il faut que les deux parties soient d’accord pour que je déclenche l’obturateur numérique. Tant que cet équilibre n’est pas trouvé il ne peut pas y avoir de photographie et encore moins de photographie « réussie ».
Une fois ces éléments précisés, la photo est donc le résultat de cette distorsion entre d’une part la beauté de cette bouche aux lèvres écarlates et au menton parfait, d’autre part cette couleur bleue pale et enfin tout le reste résultant d’une désagrégation provenant soit du temps passé soit d’une destruction née de l’action humaine.
® Après l’exposition au cours de laquelle j’ai eu de multiples discussions, j’ai également aujourd’hui une autre vision de cette photographie, s’insérant dans une vision plus large, plus profonde et plus philosophique.
La photo originale vantait un produit, une marque, quelque chose de bien identifiable à acheter. Il y a donc une compréhension consumériste de cette photo définie en tant qu’affiche publicitaire. C’était sa fonction première.
Mais si on ajoute cette photographie aux autres photos figuratives de visages ou de regards de femmes apparaissant sous ces affiches déchirées et faisant partie de l’exposition, on remarque forcément que toutes ont été victime du même processus de destruction ou de désagrégation pour, après avoir plus ou moins disparues, renaître bien loin de leurs significations initiales. Qui associerait la photo de la femme en bleue avec la même publicité ? Personne.
Si la sublimation artistique de ce phénomène de destruction prend in fine le pas sur le « productivisme capitaliste » ayant initié ces photographies, elle a besoin impérativement d’une multiplicité pour prouver cette assertion. C’est la répétition de celles-ci qui en amène la preuve.
La réflexion porte alors sur la puissance de notre économie qui pousse à la consommation et au final l’état de notre planète.